Une autre histoire


Lignes artistiques


Note d’intention

Vinciane Geerinckx et Thomas Prédour se sont connus à l’université où ils ont créé ensemble plusieurs spectacles de théâtre. Vingt ans plus tard, riches de leurs expériences artistiques et sociales, ils se retrouvent autour de la pensée de Karl Marx.

Ils ont été interpelés par le propos du philosophe et économiste allemand qui, au 19e siècle, a cherché à comprendre d’où venaient les inégalités entre les humains et comment il serait possible de les éviter afin de créer une société dans laquelle l’exploitation du peuple n’existerait plus.

Il leur a semblé pertinent de lier la pensée de Marx et leurs questionnements sur la société d’aujourd’hui au passé et au présent d’une ville où l’industrie n’est plus, comme il y en a beaucoup en Europe.

Grâce à une subvention de la Fédération Wallonie-Bruxelles dans le cadre de l’appel « Un futur pour la culture », les artistes ont pu avoir un long temps de recherche-action à Leuze-en-Hainaut, avec l’appui du Centre culturel, entre janvier et septembre 2021. Ils ont choisi comme premier territoire d’exploration Leuze-en-Hainaut parce que Thomas en est originaire et Vinciane y habite depuis 2011. Et parce que Leuze qui était une ville très vivante à une époque pas si lointaine, avec plus de 100 bonneteries, semble avoir péréclité avec la fermeture de celles-ci. Un arrêt dont on sent parfois encore les répercussions : le silence, la fragilité des personnes, la difficulté à rêver, à se projeter. Bref, un territoire idéal pour tester leur démarche.

Leur résidence les a amenés à se centrer sur l’industrie textile d’hier et d’aujourd’hui, notamment ses travers que sont la délocalisation, l’exploitation des ouvriers des pays du Sud, la fast-fashion, et la pollution. Le lien avec Marx était évident car son ami Engels était directeur d’usines textiles à Manchester, ce qui a fort nourri Marx dans ses analyses sur le capitalisme.

Ils ont aussi fait ce choix car le vêtement est une chose commune à toutes et tous, et sa fabrication hier comme aujourd’hui pose de nombreux problèmes et est exemplatif de nos nombreuses contradictions (par exemple, accepter d’acheter des vêtements fabriqués à très bas coût en Asie fait de nous de facto des exploiteurs).

Face à la persistance des inégalités sociales, il leur paraît pertinent de continuer à réfléchir à ce qui se joue entre les classes sociales. Où en est la pensée marxiste alors que les industries locales ont été décimées par un capitalisme mondialisé ? Et quels sont les possibles futurs?

Procédé dramaturgique

Depuis toujours, nous nous nourrissons d’histoires et de fictions, soit pour fuir la réalité, soit pour la réinventer. Le livre « Sapiens » de Yuval Noah Harari révèle que les homo sapiens ont comme caractéristique d’avoir un pouvoir d’imagination qui leur permet de se réunir en grand nombre autour d’un mythe,tantôt négatif tantôt positif. Cela donne un sens, une direction à l’histoire qu’ils dessinent. Le problème, c’est qu’ils oublient souvent que ce mythe est une invention et qu’ils prennent celui-ci pour une réalité alors qu’il est possible de le changer, voire d’en inventer d’autres. Il nous paraît dès lors pertinent d’interroger les mythes, en particulier ceux véhiculés par le capitalisme.

Pour cela, nous choisissons d’utiliser comme principe dramaturgique de ce spectacle le procédé de l’uchronie, un puissant ferment narratif. Dans la fiction, l’uchronie est un genre qui repose sur le principe de la réécriture de l’Histoire à partir de la modification du passé.

Nous désirons donc jouer avec le passé et mettre le monde ouvrier en valeur. Nous voulons mettre en avant le fait que l’Histoire n’est pas une création ex nihilo mais un chemin qui se dessine en fonction des décisions prises face à une étendue de possibles. Cela pour envisager aussi d’autres futurs possibles.

L’uchronie nous permettra également de jouer dans toutes les villes possibles car, grâce à ce procédé, nous pourrons faire venir Karl Marx dans des villes où il ne s’est pas forcément rendu, imaginer d’autres mouvements ouvriers et populaires locaux, une autre histoire des localités dans lesquelles se déroulera notre spectacle, inventer la présence d’usines textiles dans des villes où il n’y en a pas eu, etc. pour mieux ouvrir la porte à d’autres histoires communes, car les mots sont aussi des graines que l’on plante...

Processus de création

La première étape a consisté en des recherches (par le biais de lectures, de visionnage de documentaires et de fictions) sur la pensée de Marx, ce qu’il en reste aujourd’hui et sur la notion de biens communs.

Ensuite, les artistes se sont documentés sur l’histoire de l’industrie textile et ce qu’elle est devenue aujourd’hui, et ont visité un musée, rencontré des bonnetières. Leuze-en-Hainaut étant le premier territoire de résidence, un travail d’enquête sur l’histoire leuzoise a également été mené avec le centre culturel et l’association d’histoire locale.

Les artistes souhaitent également inclure les habitants et partager leur démarche créatrice avec ceux-ci qu’ils considèrent comme des partenaires de recherche. La volonté est de mettre en place des interviews, des ateliers philosophiques liant la pensée de Marx, le commun et le passé de la vie industrielle avec les habitants (anciens ouvriers, historiens, étudiants,...). Ils poseront des questions du type : « comment penser le commun ? » et échangeront avec eux sur la disparition des industries locales, sur ce qui reste de ce passé dans les mémoires.

Une création sans cesse renouvelée

Toute cette matière est « digérée » par les deux artistes qui ont écrit un texte qui est la trame du spectacle. Cette trame sera « fixée » à 80%, les 20% restants étant adaptés en fonction de la ville dans laquelle ils travaillent, en concertation avec la structure d’accueil qui mettra les artistes en contact avec les associations d’histoire locale.

Mise en scène

Il s’agira donc d’un spectacle de théâtre de rue (dans l’espace public) sous forme de visite guidée (déambulatoire). Le point de départ con- sistera en une petite exposition qui mettra les spectateurs dans « l’ambiance » du spectacle.

Jeu

Les artistes jouent deux membres de l’association Les Amis de Karl Marx, la présidente fédérale et l’employé de la locale, qui ne se sont jamais rencontrés. Au fil du parcours, ces deux personnages - reprenant les traits caricaturaux du «chef» - narcissique et autoritaire - et de celui qui est en-dessous - vont se confronter, créant des situations cocasses qui présentent un large éventail des rapports de pouvoir et de domination. Comme un miroir du fonctionnement de notre société qui bat au rythme de ces rapports de classe, du patriarcat, de l’anthropocentrisme et du racisme se trouvant au coeur du système capitaliste. Leur relation tout au long du spectacle montrera les difficultés et quelques chemins possibles pour sortir de ce système.

Le jeu se veut réaliste, nous adopterons les codes des guides touristiques, mais avec un décalage clownesque qui permettra une grande liberté pour sortir du texte, improviser, et dès lors jouer avec les « accidents », les « cadeaux » offerts dans l’instant présent et renforcer la connexion avec le public. Une de nos sources d’inspiration, c’est le jeu des actrices et acteurs des films des années 70-80 comme Pierre Richard dans « Le grand blond avec une chaussure noire », Louis de Funès dans « La soupe aux choux », l’actrice Jacqueline Maillan ou encore l’humoriste Zouk.

Rapport avec le public

Les deux artistes s’adressent directement au public, sans quatrième mur donc, s’appuyant sur une interaction importante, car la dimension participative est essentielle pour eux, avec des jeux, des questions/réponses.

Déambulation dans l’espace public

Le spectacle suivra à chaque fois le même scénario avec différentes étapes. A chaque arrêt, une scénette est jouée (exemples : accueil du public, histoire de Marx, réflexions sur l’industrie textile, références à des anecdotes marquantes de la mémoire populaire de la localité), et puis les spectateurs sont emmenés vers la prochaine étape.

Compagnie Sur le Fil - Courriel: cie.surlefil@gmail.com